Lettre ouverte au président de la Chambre nationale

Monsieur le président,

Votre élection en juin dernier, ainsi que celle des membres du Bureau qui vous entourent et des délégués qui vous ont soutenu publiquement pendant la campagne électorale, a fait souffler un vent d’espoir et de promesses au sein de notre profession. Vous avez su interpréter le besoin de changement exprimé par nos consœurs et confrères qui traversent comme vous le savez une crise sans précédent. Vous en connaissez les causes, qui sont certes économiques, mais qui traduisent également – osons le dire – une crise de valeurs.

Nous sommes une profession de valeurs et de principes

Vous avez su capter, pendant votre campagne, ce besoin de règles et de valeurs. Les mêmes pour tous, sans exception. Vous aviez bien analysé ce besoin « d’apaiser » la profession après tant de tumultes, qui ont ressurgi encore récemment, dans l’article de Marianne d’il y a 15 jours.

C’est la raison pour laquelle vous aviez placé au cœur de votre projet le thème de l’ »Ordre juste » (que vous avez voulu à ce titre inscrire en tête de vos propositions).  Nous nous permettons de vous citer : 

« L’époque est à la transparence, à la sobriété, à la démocratie, à l’exemplarité et à la compétence. L’enjeu est de taille, rétablir la confiance ». 

Cette ambition, vous l’avez confirmée, dans votre vidéo « feuille de route » à la profession du 14 septembre dernier : « Il nous faut restaurer la confiance avec la profession de manière générale »… « En matière budgétaire, je crois qu’il faut faire preuve d’exemplarité et de sobriété ». 

Cette ambition, vous l’avez rappelée la semaine dernière, votre discours au Congrès (une phrase si importante que vous avez décidé d’en faire un tweet): « Dès les premières semaines de notre mandat, le Bureau a souhaité faire aboutir la réforme de la discipline. Je tiens en effet à ce que notre profession fasse preuve d’une exemplarité sans faille. Nous avons initié dès cet été la réforme de notre code de déontologie ». 

Votre devoir d’exemplarité

Nous avons été surpris à la lecture du courriel qui a été largement diffusé parmi les élus de la profession il y a 15 jours et alertant la profession sur les agissements de votre troisième vice-président. Si la méthode de communication (anonyme) ne doit être cautionnée, ce courriel détaille, de façon non calomnieuse, une série de faits qui, s’ils sont avérés, sont de nature à jeter le trouble au sein de la profession. Nous ne pouvons pas faire semblant que ces informations n’existent pas. 

Il est en effet de notoriété publique que votre troisième vice-président, notre confrère Georges Golliot, a été une voix forte et critique à l’encontre de l’ordre marchand, de la nécessaire promotion de la déontologie, des règles de la compliance et de la transparence tout au long des dernières années, particulièrement vis-à-vis de l’ancien président. 

Or, il paraît aujourd’hui prouvé, par des documents officiels, que votre troisième vice-président a mis en œuvre des montages juridiques au sein de sociétés et de holdings. Ces montages sont juridiquement légaux. Ils sont en revanche éminemment condamnables du point de vue de la déontologie et de l’éthique. Ils ont d’ailleurs déjà été condamnés par le passé par la Chambre nationale. 

Nous pensons notamment à la détention, via une holding (https://www.pappers.fr/entreprise/law-partner-845300219/documents/LAW%20PARTNER%20-%20Statuts%20mis%20%C3%A0%20jour%2025-11-2021.pdf) de participations tant dans des offices de commissaires de justice que dans une société de recouvrement (https://www.pappers.fr/entreprise/recouvrerfr-884019282/documents/RECOUVRER.FR%20-%20Statuts%20mis%20%C3%A0%20jour%2014-03-2022.pdf) ! Peut-être même dans une plateforme de médiation, étroitement liée à la société de recouvrement. 

Certains diront : nous avons déjà connu cela dans le passé. 

Ce serait sans compter la situation très particulière de votre vice-président, qui par exemple – le 11 juin 2020 – pour des allégations contre l’ancien président (prétendument membre d’un réseau de confrères qui faisaient du démarchage) écrivait, dans un message largement diffusé dans la profession : 

« Je crois qu’il faut s’interroger sur l’efficience de l’action disciplinaire dans ce type de situation, tant en termes de prévention que de régulation et la mettre en concurrence avec d’autres types d’instruments de régulation tels les clauses de compliance ou d’éthique.
Il pourrait être intéressant qu’émerge la notion de « compliance ordinale » qui pourrait regrouper l’ensemble des actions visant à rendre le comportement des réseaux, des études et des élus conformes aux normes externe et/ou interne applicables et qui pourraient impliquer de nouveaux acteurs. Ces démarches de conformité existent déjà dans les secteurs bancaires, de l’Energie, de la Poste, du traitement des déchets ». 

Votre devoir de clarté et d’action 

Monsieur le président, 

Lorsque vous étiez vice-président, en charge des questions du constat, vous avez vous-même milité contre la tentation de certains confrères de prendre des participations dans des sociétés concurrentes de la profession. 

Vous comprenez dès lors que la situation inédite que vit le Bureau suscite débat vis-à-vis des principes sur lesquels vous avez vous-même bâti votre campagne et des règles de transparence récemment adoptées par la Chambre nationale dans son règlement intérieur et qui ont été portées par le même vice-président. 

Quelle règle de compliance ou d’éthique permet de justifier que votre troisième vice-président : 

  • soit en charge du dossier relatif à la possibilité pour des holdings de droit commun de détenir des parts dans des sociétés commerciales (ordonnance « Bercy » sur laquelle vous avez interrogé la profession) et en même temps soit lui-même au centre d’un montage juridique complexe pour détenir des parts dans une société de recouvrement et dans des offices ?crée des holdings pour externaliser des activités concurrentielles par des moyens contraires à la déontologie et mène en même temps une réflexion officielle au nom de la profession sur la séparation des activités concurrentielles et régaliennes ?
Notre responsabilité de vigilance et de lanceur d’alerte 

Nous vous invitons dès aujourd’hui à prendre la mesure de l’insoluble contradiction dans laquelle se trouve aujourd’hui le Bureau, entre la promotion de règles d’exemplarité et l’impossibilité de les appliquer à ceux-là mêmes qui les ont édictées. 

Albert Schweitzer, Prix Nobel de la paix en 1952, a écrit « l’exemplarité n’est pas une façon d’influencer, c’est la seule ». 

Nous vous invitons solennellement à traduire en actions les principes que vous avez vous même largement prônés. 

Nous ne voudrions pas, qu’après la présidence « bling bling » de votre prédécesseur, notre profession subisse une présidence « business »

Nous ne pensons pas que la profession ait la force de l’affronter. 

Confraternellement,
Marie-Christine Gette-Pene
Présidente

Isabelle ALBERT
Vice-Présidente